Newsletter de la plateforme des spectacles - décembre 2019
INTERVIEW
Pamela GHISLAIN et Sandrine DESMET
Anna | Lune
Trilogie du Cri
Pamela GHISLAIN et Sandrine DESMET
Anna | Lune
Trilogie du Cri

Sandrine Desmet, vous êtes comédienne, mais pas que. Vous êtes également musicienne et circassienne. Et vous Pamela Ghislain, vous êtes comédienne et auteure. Comment vos chemins se sont-ils croisés ?
Sandrine : En effet, je suis comédienne professionnelle et j’ai une formation complète de piano classique en académie, mais sans études supérieures donc je ne suis pas officiellement musicienne professionnelle. Et j’ai également de bonnes bases en hula hoop et de jonglerie, mais de là à me définir circassienne, je n’oserais quand même pas! (rires) J’ai rencontré Pamela lors de l’examen d’entrée de l’IAD en 2011. Nous avons directement sympathisé et accroché, tant sur le plan humain qu’artistique. Lors du second tour, j’ai décidé de me diriger vers la formation que proposait l’INSAS plutôt que l’IAD. Pamela a été prise à l’IAD, moi à l’INSAS, et lors de notre sortie quelques années plus tard, nous nous sommes retrouvées et nous avons décidé de travailler ensemble.
Pamela : Je suis comédienne de formation et j’ai effectivement rencontré Sandrine lors des examens d’entrée à l’IAD. Le courant était directement bien passé et nous sommes restées en contact. Nous avons bu un verre ensemble après nos études, je lui ai parlé de mon projet de Trilogie et de l’écriture de Anna, premier volet de cette dernière. Nous avions toutes les deux envie de travailler ensemble et elle a directement accepté de mettre mon texte en scène. Je suis ravie de présenter ce projet avec elle au Centre culturel des Riches-Claires cette saison-ci. Sandrine m’a vraiment donné confiance en mon projet et c’est très enrichissant de travailler à deux. On doit parfois s’apprivoiser et trouver des ‘quality-time’ en dehors du travail mais je nous trouve très complémentaires dans le travail et ce projet est le sien autant que le mien. J’en suis très fière.
Vous travaillez toutes les deux sur le projet Trilogie du Cri, composé actuellement de deux volets, Anna et Lune. Quelles sont les thématiques de ce projet ? Et quelle en est la genèse ?
Sandrine : Le projet est né, ou en tout cas s’est enrichi au fil de nos discussions ; nous avons constaté que nous étions toutes les deux tiraillées par les mêmes questionnements sociétaux, surtout par rapport à la condition des femmes dans la société.
Pamela : Tout a commencé lors de nos années d’études respectives à l'INSAS et l’IAD, où nous nous sommes toutes deux étonnées face à la maigre palette de rôles que les femmes défendaient au théâtre. La plupart des personnages qu'on nous proposait de jouer n'étaient autres que la fille de/la mère de/la femme de/la servante de... Le seul moyen de jouer des personnages indépendants qui participaient à l'intrigue principale de l'histoire était d'interpréter un personnage masculin, ou écrit pour un homme. Sans compter le fait que le nombre conséquent de comédiennes dans nos promotions respectives rendait les distributions encore plus compliquées.
Ce constat commun a été le moteur qui nous a poussé à travailler ensemble. J’ai commencé à écrire parce que je ne trouvais pas - ou très peu - de pièces qui parlaient de féminité et j’ai directement proposé à Sandrine de monter ma première pièce, alors qu’elle n’en était encore qu’à un stade embryonnaire. En tant qu’auteure, longtemps, j’ai voulu me mettre à l’écriture mais, une fois de plus, je ne me suis pas sentie « légitime » de prendre la plume. En tant que femme, nous devons doublement prouver ce qui nous définit. D’une part, dans l’action que nous entamons et d’autre part, en justifiant notre action en tant que femme dans un monde dirigé par des hommes. Nous devons nous battre en tant que comédiennes pour ne pas finir dans la case « choisie pour son physique » et parallèlement, on nous scande que notre physique est notre arme pour affronter le monde. Nous sommes constamment tiraillées entre assumer ce que nous sommes et répondre à ce que la société voudrait que nous soyons ; de belles filles, éduquées mais pas trop, gentilles mais pas naïves, indépendantes mais pas sauvages, sportives mais pas musclées... C’est après avoir commencé à écrire Anna en 2017 et avec toutes ces femmes qui me parlent que j’ai plus que jamais envie de continuer de relever le défi d’écrire sur et pour les femmes.
Sandrine : Lorsqu’elle m’a parlé de son désir de prendre la parole en tant que femme pour les femmes, j’y ai trouvé un écho puissant à mes envies de création. En effet, il est clair qu’on se retrouve toutes les deux dans cette urgence de parler notamment du consentement aujourd’hui. Pamela a commencé à écrire une esquisse de Anna, qu’elle m’a lue. Elle m’a proposé de le mettre en scène, et c’était évident que nous devions travailler ensemble et faire quelque chose de ces thématiques qui nous animent. Pour résumer le premier volet de manière plus détaillée, Anna est une jeune fille comme les autres. Lors d’une soirée, elle rencontre Victor, un garçon tout à fait comme les autres aussi. Ils se plaisent, flirtent, s’embrassent, mais la fin de la soirée ne se passe pas comme prévu : il veut aller plus loin, elle dit non, il ne l’entend pas et finit par la forcer. C’est ce qu’on appelle une “zone grise”, zone représentant le flou entre le consentement et le viol. Anna porte donc plainte, convaincue que ce qu’elle a vécu n’était pas normal. Pour son frère et sa mère, cette situation est extrêmement interpellante. Ils ne comprennent pas comment elle a pu porter plainte alors que Victor lui plaisait. La pièce tourne autour de ces personnages qui se débattent avec ces questions taboues, et, en filigrane, questionne la place que prennent l’éducation et les stéréotypes véhiculés par la société dans nos comportements sexistes ou non, et dans nos codes de séduction.
Sandrine : En effet, je suis comédienne professionnelle et j’ai une formation complète de piano classique en académie, mais sans études supérieures donc je ne suis pas officiellement musicienne professionnelle. Et j’ai également de bonnes bases en hula hoop et de jonglerie, mais de là à me définir circassienne, je n’oserais quand même pas! (rires) J’ai rencontré Pamela lors de l’examen d’entrée de l’IAD en 2011. Nous avons directement sympathisé et accroché, tant sur le plan humain qu’artistique. Lors du second tour, j’ai décidé de me diriger vers la formation que proposait l’INSAS plutôt que l’IAD. Pamela a été prise à l’IAD, moi à l’INSAS, et lors de notre sortie quelques années plus tard, nous nous sommes retrouvées et nous avons décidé de travailler ensemble.
Pamela : Je suis comédienne de formation et j’ai effectivement rencontré Sandrine lors des examens d’entrée à l’IAD. Le courant était directement bien passé et nous sommes restées en contact. Nous avons bu un verre ensemble après nos études, je lui ai parlé de mon projet de Trilogie et de l’écriture de Anna, premier volet de cette dernière. Nous avions toutes les deux envie de travailler ensemble et elle a directement accepté de mettre mon texte en scène. Je suis ravie de présenter ce projet avec elle au Centre culturel des Riches-Claires cette saison-ci. Sandrine m’a vraiment donné confiance en mon projet et c’est très enrichissant de travailler à deux. On doit parfois s’apprivoiser et trouver des ‘quality-time’ en dehors du travail mais je nous trouve très complémentaires dans le travail et ce projet est le sien autant que le mien. J’en suis très fière.
Vous travaillez toutes les deux sur le projet Trilogie du Cri, composé actuellement de deux volets, Anna et Lune. Quelles sont les thématiques de ce projet ? Et quelle en est la genèse ?
Sandrine : Le projet est né, ou en tout cas s’est enrichi au fil de nos discussions ; nous avons constaté que nous étions toutes les deux tiraillées par les mêmes questionnements sociétaux, surtout par rapport à la condition des femmes dans la société.
Pamela : Tout a commencé lors de nos années d’études respectives à l'INSAS et l’IAD, où nous nous sommes toutes deux étonnées face à la maigre palette de rôles que les femmes défendaient au théâtre. La plupart des personnages qu'on nous proposait de jouer n'étaient autres que la fille de/la mère de/la femme de/la servante de... Le seul moyen de jouer des personnages indépendants qui participaient à l'intrigue principale de l'histoire était d'interpréter un personnage masculin, ou écrit pour un homme. Sans compter le fait que le nombre conséquent de comédiennes dans nos promotions respectives rendait les distributions encore plus compliquées.
Ce constat commun a été le moteur qui nous a poussé à travailler ensemble. J’ai commencé à écrire parce que je ne trouvais pas - ou très peu - de pièces qui parlaient de féminité et j’ai directement proposé à Sandrine de monter ma première pièce, alors qu’elle n’en était encore qu’à un stade embryonnaire. En tant qu’auteure, longtemps, j’ai voulu me mettre à l’écriture mais, une fois de plus, je ne me suis pas sentie « légitime » de prendre la plume. En tant que femme, nous devons doublement prouver ce qui nous définit. D’une part, dans l’action que nous entamons et d’autre part, en justifiant notre action en tant que femme dans un monde dirigé par des hommes. Nous devons nous battre en tant que comédiennes pour ne pas finir dans la case « choisie pour son physique » et parallèlement, on nous scande que notre physique est notre arme pour affronter le monde. Nous sommes constamment tiraillées entre assumer ce que nous sommes et répondre à ce que la société voudrait que nous soyons ; de belles filles, éduquées mais pas trop, gentilles mais pas naïves, indépendantes mais pas sauvages, sportives mais pas musclées... C’est après avoir commencé à écrire Anna en 2017 et avec toutes ces femmes qui me parlent que j’ai plus que jamais envie de continuer de relever le défi d’écrire sur et pour les femmes.
Sandrine : Lorsqu’elle m’a parlé de son désir de prendre la parole en tant que femme pour les femmes, j’y ai trouvé un écho puissant à mes envies de création. En effet, il est clair qu’on se retrouve toutes les deux dans cette urgence de parler notamment du consentement aujourd’hui. Pamela a commencé à écrire une esquisse de Anna, qu’elle m’a lue. Elle m’a proposé de le mettre en scène, et c’était évident que nous devions travailler ensemble et faire quelque chose de ces thématiques qui nous animent. Pour résumer le premier volet de manière plus détaillée, Anna est une jeune fille comme les autres. Lors d’une soirée, elle rencontre Victor, un garçon tout à fait comme les autres aussi. Ils se plaisent, flirtent, s’embrassent, mais la fin de la soirée ne se passe pas comme prévu : il veut aller plus loin, elle dit non, il ne l’entend pas et finit par la forcer. C’est ce qu’on appelle une “zone grise”, zone représentant le flou entre le consentement et le viol. Anna porte donc plainte, convaincue que ce qu’elle a vécu n’était pas normal. Pour son frère et sa mère, cette situation est extrêmement interpellante. Ils ne comprennent pas comment elle a pu porter plainte alors que Victor lui plaisait. La pièce tourne autour de ces personnages qui se débattent avec ces questions taboues, et, en filigrane, questionne la place que prennent l’éducation et les stéréotypes véhiculés par la société dans nos comportements sexistes ou non, et dans nos codes de séduction.

Pamela : Lune, le deuxième volet de la Trilogie, raconte l’histoire d’une Horde de 262 femmes. Fatiguées d’être incomprises, sous-représentées et victimes de violences, elles décident de proposer une société matriarcale alternative dans une forêt. Après trois ans à vivre entre elles, elles décident d’inviter deux hommes à venir chez elles, persuadées qu’il faut ouvrir la Horde à la mixité.
Mais chaque femme y va de son avis et personne n’est finalement sûr de savoir si ces hommes s’y sentent à leurs places. Lune aborde clairement la complexité des relations hommes-femmes et la déconstruction des modèles de la virilité et de la féminité. Quatre personnages sur scène et 262 interviews vont permettre de faire de ce projet un projet hyper actuel sur la remise en question des valeurs de notre société patriarcale.
Quel est le calendrier de la Trilogie du Cri ?
Pamela : En mars, avril, mai de cette année, j’ai obtenu une bourse d’écriture à la Cité Internationale des arts à Paris avec Wallonie-Bruxelles International. Grâce à cette bourse, j’ai pu commencer à travailler sur le texte Lune, mais également peaufiner les derniers détails du texte de Anna. Cette bourse m’a permis de travailler sur le projet de la Trilogie du Cri dans sa globalité, ce qui m’a énormément aidé pour imaginer la suite.
Sandrine : Anna se jouera cette saison-ci, du 22 avril au 9 mai 2020 au Centre culturel des Riches-Claires, et on est en train de construire la tournée du projet pour les deux prochaines saisons. On espère vraiment que ce texte sera joué dans un maximum d’espaces culturels en Belgique et ailleurs. C’est vraiment important que le public entende cette parole et puisse avoir un espace de rencontre après les représentations pour poser des questions à notre équipe et à des associations qui seront présentes avec nous.
Mais chaque femme y va de son avis et personne n’est finalement sûr de savoir si ces hommes s’y sentent à leurs places. Lune aborde clairement la complexité des relations hommes-femmes et la déconstruction des modèles de la virilité et de la féminité. Quatre personnages sur scène et 262 interviews vont permettre de faire de ce projet un projet hyper actuel sur la remise en question des valeurs de notre société patriarcale.
Quel est le calendrier de la Trilogie du Cri ?
Pamela : En mars, avril, mai de cette année, j’ai obtenu une bourse d’écriture à la Cité Internationale des arts à Paris avec Wallonie-Bruxelles International. Grâce à cette bourse, j’ai pu commencer à travailler sur le texte Lune, mais également peaufiner les derniers détails du texte de Anna. Cette bourse m’a permis de travailler sur le projet de la Trilogie du Cri dans sa globalité, ce qui m’a énormément aidé pour imaginer la suite.
Sandrine : Anna se jouera cette saison-ci, du 22 avril au 9 mai 2020 au Centre culturel des Riches-Claires, et on est en train de construire la tournée du projet pour les deux prochaines saisons. On espère vraiment que ce texte sera joué dans un maximum d’espaces culturels en Belgique et ailleurs. C’est vraiment important que le public entende cette parole et puisse avoir un espace de rencontre après les représentations pour poser des questions à notre équipe et à des associations qui seront présentes avec nous.

Pamela : Je travaille actuellement sur Lune et je compte monter moi-même le projet en 2021-2022. Il y a un gros travail de recherche derrière puisque ce projet mélange la fiction et le documentaire. Je collabore actuellement avec un vidéaste pour interviewer et récolter des témoignages de femmes de tous âges et tous horizons. J'alterne donc des moments de travail avec mon équipe, des moments d’écriture et des moments de rencontres et d’interviews avec le vidéaste. Idéalement, la tournée serait prévue en 2022-2023. Sandrine souhaite durant cette période se concentrer sur le projet Anna, mais elle remplit tout de même la fonction de regard extérieur sur Lune. Elle reste liée à la Trilogie de près ou de plus loin. Le dernier texte, Simone, parle de la rencontre entre trois femmes dans une salle d’attente d’un cabinet médical. Un huis clos entre une femme qui refuse d’être mère, une qui ne peut biologiquement pas l’être, et la dernière qui l’est malgré elle. Je compte commencer l’écriture fin 2021, début 2022. La création est prévue en 2023-2024.
Je souhaite vraiment un jour voir cette Trilogie au complet dans un théâtre afin que le spectateur ait accès à l'entièreté de la Trilogie et aux réflexions et questionnements traités dans les trois pièces.
Quel est le profil du public auquel vous vous adressez ?
Sandrine : La pièce Anna est une pièce qui peut s’adresser plutôt aux adultes, mais il nous semble également pertinent de l'ouvrir aux jeunes en fin d’humanités supérieures et aux universitaires ou étudiants en haute école. Nous souhaitons toucher un maximum de personnes de milieux différents, pas forcément sensibles aux inégalités hommes-femmes de prime abord, afin de questionner ensemble cette thématique de la zone grise, d'ouvrir la parole pour casser le tabou qui entoure la question. J'ai déjà pu constater que le public adulte avait une certaine tendance à se dédouaner de ces questions-là, prétendant qu'il s'agit de notions qu'il faut inculquer aux plus jeunes, mais que ça ne les concerne plus. Or les cas de zones grises sont énormément répandus parmi les couples de longue durée et les couples mariés, toutes classes sociales confondues. Par ailleurs, la question de l'éducation des générations futures à ces notions-là est clairement adressée aux adultes, parents, professeurs, éducateurs... Les deux publics sont donc tout autant visés : les jeunes adultes et étudiants en études supérieures, et les adultes plus mûrs.
Je souhaite vraiment un jour voir cette Trilogie au complet dans un théâtre afin que le spectateur ait accès à l'entièreté de la Trilogie et aux réflexions et questionnements traités dans les trois pièces.
Quel est le profil du public auquel vous vous adressez ?
Sandrine : La pièce Anna est une pièce qui peut s’adresser plutôt aux adultes, mais il nous semble également pertinent de l'ouvrir aux jeunes en fin d’humanités supérieures et aux universitaires ou étudiants en haute école. Nous souhaitons toucher un maximum de personnes de milieux différents, pas forcément sensibles aux inégalités hommes-femmes de prime abord, afin de questionner ensemble cette thématique de la zone grise, d'ouvrir la parole pour casser le tabou qui entoure la question. J'ai déjà pu constater que le public adulte avait une certaine tendance à se dédouaner de ces questions-là, prétendant qu'il s'agit de notions qu'il faut inculquer aux plus jeunes, mais que ça ne les concerne plus. Or les cas de zones grises sont énormément répandus parmi les couples de longue durée et les couples mariés, toutes classes sociales confondues. Par ailleurs, la question de l'éducation des générations futures à ces notions-là est clairement adressée aux adultes, parents, professeurs, éducateurs... Les deux publics sont donc tout autant visés : les jeunes adultes et étudiants en études supérieures, et les adultes plus mûrs.
Pamela : On a trop tendance - en tant que femmes engagées par ces thématiques - à se retrouver entre femmes je dirais ‘converties’. Or, il est primordial que cette Trilogie touche autant le public masculin que le public féminin. La Trilogie du Cri aborde la question du cri. Un cri refoulé, un cri comme une libération. Et cette libération de la parole des femmes doit se faire avec les hommes. Nous devons les sensibiliser autant que nous si nous voulons construire ensemble le monde de demain. Sandrine et moi, nous soulignons toujours l’importance de parler des normes éducatives qui nous ont été inculquées depuis notre enfance. La sexualisation des jouets, les valeurs de la virilité et de la féminité. Ce sont ces rouages de notre société qui nous ont appris à différencier nos genres dans l’éducation, à les distinguer et à en privilégier l’un plutôt que l’autre. Nous sommes pourtant complémentaires et c’est justement ce qui fait notre force.
Sandrine : Oui, il est primordial que des hommes se sentent concernés par le projet et, dans le cas de Anna, s’identifient même au personnage de Victor, qui commet le viol sans s’en rendre compte. Victor est justement un personnage que nous avons beaucoup travaillé afin de se défaire de l’image du violeur inconnu qui saute sur sa victime dans une rue sombre avec un couteau. Victor est un personnage drôle et attachant, qui n’a pas eu les outils adéquats pour comprendre la situation qu’il a vécue avec Anna. Il comprend lui-même - trop tard - que ce n’était pas la chose à faire. Nous souhaitons aussi réaliser des bords de scène autour des différentes solutions qui existent pour un meilleur vivre-ensemble, et pour débattre autour de toutes ces thématiques. Nous voulons faire la promotion de ce spectacle-ci auprès d’ASBL sensibles au sujet de la complémentarité des sexes. Nous avons déjà eu une première prise de contact favorable avec certaines associations en lien avec notre thématique, et nous comptons creuser ces liens avec ces organisations afin de nous inscrire dans une démarche globale de sensibilisation, qui ne se limite pas à un seul projet mais qui s’étend sur du plus long terme.
Quel regard portez-vous sur les auteures, metteuses en scène féminins de votre génération ? La collaboration existe-t-elle et est-elle fréquente ?
Sandrine : Ce que je constate, c’est qu’il y a clairement un mouvement de la part des créatrices féminines du milieu artistique de vouloir faire changer les choses. Ce, pour les artistes féminines de notre génération, mais aussi des générations supérieures. La création du groupe F(s), suite à la nomination de Alexandre Caputo à la direction du théâtre des Tanneurs, permet un espace de parole sûr, la mise en place d’actions pour faire évoluer le système vers plus d’égalité dans le milieu, et a lancé, selon moi, un élan de solidarité entre les femmes du monde artistique, toutes disciplines confondues. L’idéal serait de pouvoir monter des projets en tant que femmes sans avoir besoin de parler de notre condition, mais simplement de pouvoir monter d’autres spectacles sur d’autres thématiques, de pouvoir prendre la parole en tant que personne et non en tant que femme. Camille Cottin disait au sujet du féminisme : “N’oubliez pas de vous battre pour qu’un jour il n’y ait plus de débat”. Nous n’y sommes pas encore. Mais de nombreux élans, notamment lancés via F(s), me donnent espoir en l’avenir par rapport à une ouverture d’esprit et un appel à la réflexion sur les chiffres qui sont sans équivoque. En tout cas, je sais que Pamela et moi sommes très curieuses des œuvres portées par des femmes particulièrement, et que nous privilégions un maximum de solidarité entre nous. Je pense que cette solidarité entre artistes féminines est essentielle et j’ai l’impression qu’elle s’accroît notamment via F(s), au fil du temps... du moins c’est ce que je souhaite!
Pamela : Je fais souvent un petit exercice très simple quand je vais dans des bibliothèques, que je regarde les programmes des théâtres, les génériques des films ou autre. Je parcours les étalages ou les feuilles à la recherche de noms féminins. C’est un exercice fascinant. Faites-le. Prenez la section ‘poésie’ dans une librairie, ou la section ‘poste de direction’ pour les théâtres. Il y a une grande majorité d’hommes. Dans des jeux de société, les femmes sont soit sous-représentées, soit sexualisées (décolleté plongeant, vêtements collants… etc). J’ai donc décidé de privilégier les femmes. Je regarde des films de femmes, lis des romans de femmes… etc. Je suis moi-même membre du groupe F(s), mais il existe aussi “Elles font des films” pour le milieu du cinéma, ou “Engagement” en Flandre. Les choses bougent. L’important est de se soutenir même si nous ne pensons pas de la même manière ou que notre vision de la création ou du féminisme est différente. Il faut se soutenir quoi qu’il arrive. Parce que le milieu culturel est un milieu précaire, que nous y sommes sous-représentées ou mal représentées. Parce que nous n’avons accès qu’à des rôles féminins écrits majoritairement par des hommes et que je ne cesse de me répéter que ce milieu culturel questionne la société, qu’il bouleverse les codes et qu’il faudra bien qu’il se pose ces questions bientôt s’il veut rester vecteur de sens et créateur de liens. Je fréquente de nombreuses artistes femmes grâce à F(s) et ces rassemblements sont précieux pour mon travail en tant qu’artiste et pour ce que je souhaite, en tant que femme, donner à voir. Il faut arrêter d’avoir honte du féminisme, il faut justement, comme le disait si bien Adèle Haenel, “que la honte change de camp”.
Sentez-vous une frilosité de la part des structures (centres culturels, théâtres…) pour les sujets que vous abordez ou au contraire l’intérêt est-il croissant compte tenu du contexte actuel (#metoo) ?
Sandrine : Cela dépend des structures. Il n’est pas si facile d’avoir un point de vue féministe dans un spectacle, d’autant plus qu’il existe un nombre incalculable de féminismes différents. Certain.e.s diront qu’il faut passer à l’action de manière radicale, d’autres sont plutôt dans l’horizontalité, le renversement d’un système en menant des actions pacifistes et sous-jacentes sans attaquer frontalement, avoir un point de vue féministe peut donc être sujet aux critiques, même venant de la part des femmes, ou venant de la part des femmes féministes! Concernant Anna, il nous est arrivé d’avoir des programmateurs ou spectateurs masculins qui sont venus nous trouver en manifestant leur intérêt et leurs questionnements par rapport au spectacle, là où des programmatrices avaient par exemple directement condamné le personnage de Victor, ou vu le tout avec un regard féministe tellement exacerbé que les notions de féminismes abordées n’étaient pas suffisamment poussées selon elles.
Paradoxalement, nous avons pu constater lors de la présentation d’étapes de travail que le fait que le personnage de Victor ne soit pas blâmé dans le spectacle interpelle majoritairement des hommes…. Ce qui est finalement notre but, car pour moi l’objectif du spectacle est bien sûr de parler au public le plus large possible, mais surtout de poser quelques questions peut-être un peu moins pointues aux hommes qui ne réalisent pas la portée de certaines paroles ou certaines actes, plutôt qu’aux femmes déjà “converties” si je puis dire, donc ce n’est pas plus mal!
Pamela : Je pense qu’il y a des deux. Il y a des structures qui nous ont clairement déjà fait comprendre que ça ne les intéressaient pas et d’autres qui - au contraire - nous manifestent énormément de soutien. Le plus étonnant est que ce ne sont pas toujours des hommes qui sont réticents à ces sujets, il y a aussi beaucoup de femmes. Cela m’étonne toujours mais lorsque nous devons évoluer dans un monde d’hommes, certaines femmes finissent parfois par reproduire un schéma de rejet parce que c’est ce qu’elles ont toujours connu, notamment via des idées telles que “il faut en baver pour y arriver”’ ou “ce n’est pas si grave, les femmes exagèrent”. Mais je préfère toujours me concentrer sur ceux et celles qui veulent aller de l’avant et il y a de nombreuses structures qui nous soutiennent ou qui sont interpellées par le sujet. Notamment le festival de musique Esperanzah! qui nous a accueilli pour une lecture de Anna dans le cadre du plan SACHA (Safe Attitude Contre le Harcèlement et les Agressions sexuelles en milieu festivalier). Les choses bougent, les gens changent, et ce projet fait évidemment partie de ce mouvement. Probablement que le mouvement #Metoo n’y est pas pour rien… Mais on ne nous le précise pas spécialement lorsqu’on nous sollicite par rapport au projet.
Sandrine : Ce que je constate, c’est qu’il y a clairement un mouvement de la part des créatrices féminines du milieu artistique de vouloir faire changer les choses. Ce, pour les artistes féminines de notre génération, mais aussi des générations supérieures. La création du groupe F(s), suite à la nomination de Alexandre Caputo à la direction du théâtre des Tanneurs, permet un espace de parole sûr, la mise en place d’actions pour faire évoluer le système vers plus d’égalité dans le milieu, et a lancé, selon moi, un élan de solidarité entre les femmes du monde artistique, toutes disciplines confondues. L’idéal serait de pouvoir monter des projets en tant que femmes sans avoir besoin de parler de notre condition, mais simplement de pouvoir monter d’autres spectacles sur d’autres thématiques, de pouvoir prendre la parole en tant que personne et non en tant que femme. Camille Cottin disait au sujet du féminisme : “N’oubliez pas de vous battre pour qu’un jour il n’y ait plus de débat”. Nous n’y sommes pas encore. Mais de nombreux élans, notamment lancés via F(s), me donnent espoir en l’avenir par rapport à une ouverture d’esprit et un appel à la réflexion sur les chiffres qui sont sans équivoque. En tout cas, je sais que Pamela et moi sommes très curieuses des œuvres portées par des femmes particulièrement, et que nous privilégions un maximum de solidarité entre nous. Je pense que cette solidarité entre artistes féminines est essentielle et j’ai l’impression qu’elle s’accroît notamment via F(s), au fil du temps... du moins c’est ce que je souhaite!
Pamela : Je fais souvent un petit exercice très simple quand je vais dans des bibliothèques, que je regarde les programmes des théâtres, les génériques des films ou autre. Je parcours les étalages ou les feuilles à la recherche de noms féminins. C’est un exercice fascinant. Faites-le. Prenez la section ‘poésie’ dans une librairie, ou la section ‘poste de direction’ pour les théâtres. Il y a une grande majorité d’hommes. Dans des jeux de société, les femmes sont soit sous-représentées, soit sexualisées (décolleté plongeant, vêtements collants… etc). J’ai donc décidé de privilégier les femmes. Je regarde des films de femmes, lis des romans de femmes… etc. Je suis moi-même membre du groupe F(s), mais il existe aussi “Elles font des films” pour le milieu du cinéma, ou “Engagement” en Flandre. Les choses bougent. L’important est de se soutenir même si nous ne pensons pas de la même manière ou que notre vision de la création ou du féminisme est différente. Il faut se soutenir quoi qu’il arrive. Parce que le milieu culturel est un milieu précaire, que nous y sommes sous-représentées ou mal représentées. Parce que nous n’avons accès qu’à des rôles féminins écrits majoritairement par des hommes et que je ne cesse de me répéter que ce milieu culturel questionne la société, qu’il bouleverse les codes et qu’il faudra bien qu’il se pose ces questions bientôt s’il veut rester vecteur de sens et créateur de liens. Je fréquente de nombreuses artistes femmes grâce à F(s) et ces rassemblements sont précieux pour mon travail en tant qu’artiste et pour ce que je souhaite, en tant que femme, donner à voir. Il faut arrêter d’avoir honte du féminisme, il faut justement, comme le disait si bien Adèle Haenel, “que la honte change de camp”.
Sentez-vous une frilosité de la part des structures (centres culturels, théâtres…) pour les sujets que vous abordez ou au contraire l’intérêt est-il croissant compte tenu du contexte actuel (#metoo) ?
Sandrine : Cela dépend des structures. Il n’est pas si facile d’avoir un point de vue féministe dans un spectacle, d’autant plus qu’il existe un nombre incalculable de féminismes différents. Certain.e.s diront qu’il faut passer à l’action de manière radicale, d’autres sont plutôt dans l’horizontalité, le renversement d’un système en menant des actions pacifistes et sous-jacentes sans attaquer frontalement, avoir un point de vue féministe peut donc être sujet aux critiques, même venant de la part des femmes, ou venant de la part des femmes féministes! Concernant Anna, il nous est arrivé d’avoir des programmateurs ou spectateurs masculins qui sont venus nous trouver en manifestant leur intérêt et leurs questionnements par rapport au spectacle, là où des programmatrices avaient par exemple directement condamné le personnage de Victor, ou vu le tout avec un regard féministe tellement exacerbé que les notions de féminismes abordées n’étaient pas suffisamment poussées selon elles.
Paradoxalement, nous avons pu constater lors de la présentation d’étapes de travail que le fait que le personnage de Victor ne soit pas blâmé dans le spectacle interpelle majoritairement des hommes…. Ce qui est finalement notre but, car pour moi l’objectif du spectacle est bien sûr de parler au public le plus large possible, mais surtout de poser quelques questions peut-être un peu moins pointues aux hommes qui ne réalisent pas la portée de certaines paroles ou certaines actes, plutôt qu’aux femmes déjà “converties” si je puis dire, donc ce n’est pas plus mal!
Pamela : Je pense qu’il y a des deux. Il y a des structures qui nous ont clairement déjà fait comprendre que ça ne les intéressaient pas et d’autres qui - au contraire - nous manifestent énormément de soutien. Le plus étonnant est que ce ne sont pas toujours des hommes qui sont réticents à ces sujets, il y a aussi beaucoup de femmes. Cela m’étonne toujours mais lorsque nous devons évoluer dans un monde d’hommes, certaines femmes finissent parfois par reproduire un schéma de rejet parce que c’est ce qu’elles ont toujours connu, notamment via des idées telles que “il faut en baver pour y arriver”’ ou “ce n’est pas si grave, les femmes exagèrent”. Mais je préfère toujours me concentrer sur ceux et celles qui veulent aller de l’avant et il y a de nombreuses structures qui nous soutiennent ou qui sont interpellées par le sujet. Notamment le festival de musique Esperanzah! qui nous a accueilli pour une lecture de Anna dans le cadre du plan SACHA (Safe Attitude Contre le Harcèlement et les Agressions sexuelles en milieu festivalier). Les choses bougent, les gens changent, et ce projet fait évidemment partie de ce mouvement. Probablement que le mouvement #Metoo n’y est pas pour rien… Mais on ne nous le précise pas spécialement lorsqu’on nous sollicite par rapport au projet.